L’Uberisation de l’orthodontie
Voici un article écrit par Martin Kelleher, spécialiste en dentisterie restauratrice à Londres, sur l’Uberisation de l’Orthodontie.
C’est une bonne occasion de lire le point de vue d’un non orthodontiste sur les « récentes évolutions » de notre spécialité.
La nouvelle orthodontie ?
La course pour un traitement orthodontique plus rapide, prétendu « super » et bon marché, a atteint un point que peu auraient pu imaginer possible il y a ne serait-ce que 5 ans. Cette Ubérisation progressive de l’orthodontie a produit une série de nouvelles déclarations publicitaires grandement infondées incitant au traitement orthodontique. Elles sont encouragées par un enthousiasme exubérant et par des preuves superficielles et à court-terme de leurs bénéfices supposés à long terme pour le patient.
L’explosion du battage publicitaire, qui déferle sur différentes pages internet et dans les animations dentaires à visée commerciales, utilise régulièrement de belles images de cas cliniques. Cela prend souvent la forme de « publi-reportages » qui semblent parfois avoir été écrit par quelqu’un ayant de forts intérêts commerciaux.
Ces réclames fantaisistes n’ont pas pour seule cible les dentistes curieux et enthousiastes, mais aussi de plus en plus le consommateur potentiellement intéressé par un changement de l’apparence de ses dents.
Les Publicités
Relevons que la promotion sur internet de l’accessibilité et l’apparente simplicité du traitement repose sur des slogans marketing d’une incroyable superficialité, soutenant qu’il soit plus rapide, plus supportable et moins cher.
Peu de ces promotions semblent évoquer les risques potentiels, ou même le fait que des résultats aussi rapides sont probablement une nouvelle version du terme tristement connu « récidivodontie », pouvant être biologiquement encore plus dangereux pour les racines à risque et le parodonte des dents de patients sans méfiance.
Ces publicités, dans lesquelles les annonceurs nous martèlent ces nouvelles techniques «plus rapide, toujours plus rapide et encore plus rapide » (bientôt possiblement renommées « le sourire 2 mois et demi », «dont l’appareil n’est pas visible du tout du tout » et autres non-sens… ) doivent être prises avec beaucoup de précautions par les dentistes consciencieux et souhaitant prendre soin de leurs patients. Quelques expériences amères montrent que quand quelque chose semble être trop simple, trop parfait pour être vrai, c’est qu’il y a généralement une excellente raison derrière.
Le rôle de la profession
Les corps de métiers sont organisés dans la société avec le rôle d’aider à protéger les plus vulnérables d’être exploités par des gens peu scrupuleux, usant du déséquilibre de connaissances, compétences ou expériences, pour s’avantager injustement au détriment de moins privilégiés qu’eux. La plupart des dentistes honnêtes sont nuancés et relativement modestes dans leurs propositions, sur ce que la dentisterie peut offrir, et ne font pas de publicité extravagante. Cette approche est sage car trop de critères de réussite dépassent le contrôle direct du dentiste. Par exemple, la prédisposition génétique du patient, la coopération, l’hygiène bucco-dentaire, le régime alimentaire ou le tabac.
En effet, de nombreux dentistes expérimentés ne sont pas à l’aise avec la récente prolifération grandissante de publicités et promotions d’une dentisterie narcissique et égocentrée, souvent promue par de jeunes dentistes apparemment non spécialistes. Loin d’attitudes altruistes, ces annonces regorgeant de slogans publicitaires vides de sens et présentant plutôt une appréhension légère de l’éthique, ont récemment évincé des principes fondamentaux de morale, d’éthique et de soins en dentisterie.
Remèdes miracles et éthique
Théoriquement, les gens sont légalement protégés des mauvais dentistes et de la mauvaise dentisterie, mais que ce passe-t-il dans les zones grises, quand ce n’est pas un dentiste enregistré, ou des dentistes, qui collaborent à ces traitements proches de l’expérimentation humaine sans diplôme, via un site internet ou une infrastructure basés dans un pays étranger ?
Malheureusement, chaque génération produit sa propre version du « vendeur de remèdes miracles ». Un charlatan en plein essor peut être fascinant et souvent divertissant à regarder (toujours à condition d’être celui capable de l’identifier très vite et de maintenir une distance de sécurité par rapport au spectacle) quand les autres sont entrainés par la douce stratégie commerciale et la fine manipulation poussant les observateurs vulnérables à croire qu’ils obtiennent quelque chose d’exceptionnel pour soi-disant « rien du tout ».
Dans les dernières démonstrations narcissiques de ces gourous à la poursuite de leurs ambitions, les habituelles préoccupations bienveillantes pour le bien être du patient à long terme, apparaissent avoir été parfaitement ignorées. Dans ce casino dirigé par la vanité, de nouveaux entrepreneurs, avec la panoplie du chapeau de cowboy et d’éperons cliquetant, sont entrés en ayant apparemment décidé qu’aucune recherche d’antécédents ou examen clinique sérieux n’était nécessaire avant de proposer d’aligner les dents de quelqu’un.
Au lieu de ça, quelques photos manuelles et des empreintes prises par ce « consommateur narcissique» inexpérimenté suffiraient à un logiciel manipulé par quelqu’un, quelque part, pour être capable de faire un diagnostic complet, discuter les options de traitement, les risques et les bénéfices, mais aussi d’obtenir un consentement valide. En supplément, ces modèles produits magiquement à distance peuvent servir à la réalisation de gadgets permettant des déplacements biologiquement douteux et peu stables de dents dont on ne connaît ni le support osseux, ni la longueur radiculaire ou le statut endodontique, dans le but de faire de ces appareils des accessoires de mode convoités par des personnes dont on ne connaît ni la santé mentale ou bucco-dentaire.
« Uberisation de l’orthodontie »
Ce développement, prétendument soucieux des usagers, est apparemment salué par quelques visionnaires visant la vanité humaine et présenté comme « une technologie innovante semblable à Uber », par un inépuisable enthousiasme marketing. Cependant, déplacer les dents est risqué et imprédictible dans la plupart des cas, et n’a rien à voir avec bénéficier d’une course moins chère en taxi, et est encore moins ce que les dentistes raisonnables considéreraient comme une dentisterie responsable.
Ce n’est pas non plus ce que de nombreux dentistes expérimentés souhaiteraient faire pour eux-mêmes, leurs enfants, ou quiconque d’important pour eux.
Cette énième dérive restera-t-elle incontestée, seulement comme un nouveau cas de « à l’acheteur de se méfier » ou « Caveat emptor » comme nous avertissait mon vieux professeur de latin ? Dans ce cas, quelle est la probabilité que dans le futur quelques-uns de ces dénommés « consommateurs » narcissiques totalement satisfaits sur Facebook, Twitter, Instagram, ou bien leurs serviables avocats, cherchent à rejeter toute la faute sur la profession pour ne pas les avoir prévenus des problèmes de ces techniques de traitement « Ubérisées », moins chères et plus rapides ?
Ceci est une version courte d’un article publié dans le Dental Update en Septembre 2016.
Emeritus Professor of Orthodontics, University of Manchester, UK.
Bonjour
Je suis entièrement d’accord avec vous.
L’orthodontie est en pleine dérive.
Je termine l’écriture d’un livre qui montre que l’orthodontie est une discipline médicale qui répond à des règles de diagnostic de pronostic et de traitements spécifiques en relation avec la parodontologie l’occlusodontie et la dentisterie.
Cet ouvrage est didactique clair basé sur des dessins et accessibles au plus grand nombre.
Je pense qu’il va contribuer à stopper l’uberisation de l’orthodontie.
J’ai mis 5 ans à le créer après avoir explorer les différentes sphères de notre métier pendant 35 ans.
Félicitations pour votre article.
Philippe Griffol
[email protected]